L’espace urbain et paysager composé de la place Carnot et du cours Léopold est contemporain de la réalisation de la place Stanislas. Si la majestuosité de la seconde l’a emportée sur la première, il n’en reste pas moins que cette composition urbaine est tout aussi magistrale et fastueuse que la place la plus connue de Nancy. On l’oublie souvent mais la place Carnot est une fois et demie plus grande que la place Stanislas tandis que l’espace constitué par la place Carnot et le cours Léopold font une superficie de 7 hectares, soit l’équivalent du parc Sainte-Marie. Tant sa taille que sa capacité d’accueil de grands événements – et en premier lieu la foire attractive – en font un espace d’envergure métropolitaine. Le devenir de cet espace concerne donc autant les Nancéiens que les Grands Nancéiens.
Depuis plus d’un demi-siècle, cet espace majeur de la ville alimente bon nombre de débats, de passes d’armes lors des rendez-vous électoraux et pour la majorité des Nancéiens : envies, fantasmes et le plus souvent frustrations.
Chacun d’entre nous a un rapport intime avec ce lieu : on y apprend le vélo, on y promène son animal, on y ramasse des marrons, on s’y arrête pour contempler, on s’y donne rendez-vous en famille entre amis ou collègues pour aller manger à l’Ours noir, on y fait ses premières expériences de sensations plus ou moins fortes, on s’y bécote sur les bancs publics (quand ils sont présents et en état).
Nous ne pouvons que saluer la volonté de la majorité en place d’ouvrir le débat sur la nécessaire modernisation de cette partie de la ville.
Cependant, comment, dans le même temps, ne pas relever que cette même majorité s’est emparée de ce sujet en 2020 avec un engagement totalement démagogique d’en faire rien de moins qu’une forêt urbaine.
Trois ans plus tard, les électeurs nancéiens ayant conduit cette majorité à l’hôtel de ville (tout comme les autres) apprennent finalement par voie de presse que ce projet est abandonné en rase campagne. De la poudre aux yeux et un feu de paille en somme… Malgré tout, ce projet constituait une tentative de réponse aux fortes attentes d’aménagement de la place Carnot et du cours Léopold – et à la nécessité d’adapter la ville au réchauffement climatique. Ces attentes ne pouvaient qu’être déçues vu le nombre de contraintes, notamment techniques, pour y parvenir. Et c’était oublier que le cours Léopold est probablement l’un des espaces les plus et mieux plantés de la ville. En revanche, ce qui n’a pas changé depuis 2020 c’est le niveau d’attente des Nancéiens, renforcé assurément par la période COVID au cours de laquelle les habitants de la ville se sont réappropriés ce poumon vert de proximité.
Alors que les deux principaux chantiers engagés actuellement – travaux d’aménagement liés à l’installation de la zone piétonne d’une part et au remplacement de la ligne 1 de transport d’autre part – sont menés à marche forcée et sans quelque forme de concertation que ce soit (voir nos précédentes contributions), une consultation d’envergure est engagée sur l’avenir de la place Carnot et du cours Léopold. Poursuivant dans sa logique de construction et de formulation de propositions, l’association « Les Nancéiens » souhaite contribuer à cette consultation. Les membres de l’association ont participé aux différentes réunions organisées par la Ville de Nancy, ont pris connaissance des différents comptes-rendus et contributions.
Avant d’entrer dans le contenu de nos propositions, il est nécessaire d’évoquer les conditions d’organisation de la consultation et son calendrier. Organiser une consultation à cette échelle est un exercice évidemment complexe. Pour cela, la Ville de Nancy est accompagnée par un certain nombre de spécialistes et une méthodologie a été arrêtée. Outre les instances de participation traditionnelles (Ateliers de vie de quartier et Assemblée citoyenne), un comité citoyen composé de Nancéiens tirés au sort sur les listes électorales aura la lourde tâche de tirer la synthèse de la consultation et d’émettre un avis « citoyen ». Lequel sera remis à la Ville de Nancy et sera normalement la base du programme d’aménagements projeté.
Premièrement, s’agissant des conditions d’organisation de la consultation, d’emblée, un point nous semble pour le moins étrange : la Ville de Nancy indique dans la délibération relative à cette consultation que les aménagements imaginés devront être compatibles avec la tenue de la Foire Attractive dans les conditions connues à ce jour. Le débat doit donc se faire en partant du principe que la Foire reste sur ce site, et ce alors même que l’étude actuellement menée concernant l’implantation de la Foire n’a pas rendu ses conclusions. Que l’on soit pour ou contre le maintien de la Foire à son emplacement actuel, cette méthode revient à mettre la charrue avant les bœufs.
Ensuite, nous sommes interrogatifs sur le caractère restrictif des personnes consultées et il nous semble manquer plusieurs publics particulièrement concernés : les professionnels forains eux-mêmes, les acteurs économiques et en particulier les commerçants, les grands utilisateurs présents (Université de Lorraine, Etablissements privés d’enseignement, CROUS), la jeunesse (étudiants et conseil des jeunes). Et comme nous l’avons indiqué en introduction, la dimension métropolitaine semble totalement absente : pas de consultation dans les communes de la métropole et pas de consultation du Conseil de développement durable du Grand Nancy.
Enfin et parce que c’est une chance pour la Métropole, il est dommage que l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture n’ait pas été sollicitée pour participer à la réflexion sur les travaux.
Deuxièmement, s’agissant du calendrier, la consultation intervient en fin d’année 2023 alors qu’il ne s’est rien passé ou presque sur le cours Léopold et la place Carnot et que la première moitié du mandat est derrière nous. Seule action engagée la fermeture définitive à la circulation de l’allée de l’obélisque (mesure particulièrement incomprise) qui porte à présent le nom de Gisèle Halimi. Est-ce à dire que l’on engage une consultation pour détourner le regard de l’inaction ? Ou qu’il fallait le temps pour faire oublier la forêt urbaine ?
Tenant compte des contraintes et interrogations qui viennent d’être évoquées, nous formulons 5 propositions.
1/ Tenir un discours de transparence et de vérité s’agissant du budget qui pourrait être consacré au projet et de ses invariants.
Après avoir pris connaissance de l’ensemble des contributions relatives à la consultation, il nous semble que deux impératifs sont totalement éludés :
– le budget qui pourrait être alloué au projet, et
– les impondérables techniques qu’il faut intégrer au risque d’établir des propositions à caractère utopique.
Après avoir promis une forêt urbaine tout en sachant qu’elle était techniquement impossible, il est temps d’être réaliste et de ne plus jouer avec les espoirs des riverains et Grands-Nancéiens usagers de cet espace.
S’agissant du budget, il est utile de rappeler qu’en 2005 à l’occasion de la piétonnisation de la Place Stanislas, le programme d’aménagement représentait une enveloppe de 10 millions d’investissement pour la Métropole et la Ville. Toutes choses n’étant pas égales par ailleurs, il est sans doute excessif d’imaginer qu’il faudrait au moins 70 millions pour aménager la Place Carnot et le cours Léopold (l’espace est 7 fois plus vaste que la Place Stanislas). Il n’en demeure pas moins que pour conduire une ambition de qualité, et c’est là le nerf de la guerre, il faut y consacrer un budget sérieux sans quoi ne pourrait être réalisée que de la cosmétique. Mais, la question du budget alloué au projet d’aménagement de l’espace Carnot/Leopold reste sans réponse.
Dans ce contexte et alors que tous les moyens (humains et financiers) sont majoritairement concentrés sur la commune de Nancy en raison des projets liés à la piétonnisation et au trolley, deux réflexions s’imposent : d’une part, dans quel état seront les finances de la Ville et de la Métropole après ces chantiers coûteux autant que nécessaires ? D’autre part, comment redonner vie à la solidarité métropolitaine – trop mise à mal depuis trois ans ? Elle est en effet un préalable indispensable à tout projet d’envergure, et c’est donc dans un dialogue constructif et équilibré qu’il faudra engager la programmation d’un aménagement ambitieux et à la hauteur des enjeux sur cet espace.
En synthèse, nous souhaitons qu’une approche budgétaire sérieuse soit posée faute de quoi le travail de réflexion engagé par les uns et par les autres – bien que stimulant- sera inutile ou au mieux restera un vœu pieux.
Sur les contraintes techniques, même constat : aucune information n’est donnée. Sur la plate-forme dédiée à la consultation, les éléments historiques sont plutôt fournis. En revanche, les éléments techniques sont inexistants : nature du sous-sol, présence du parking souterrain, présence des réseaux, gestion des eaux, éclairage public, caractéristiques techniques requises pour accueillir les manifestations…Tous ces éléments manquent pour conduire une réflexion sérieuse et connectée au réel. Est-il techniquement faisable d’installer une fontaine monumentale place Carnot ? Est-il techniquement faisable d’agrandir le parking souterrain ? Est-il techniquement possible de procéder à des aménagements pérennes en maintenant la Foire ? Voici quelques exemples de questions qui restent sans réponse alors que celles-ci sont nécessaires pour contribuer utilement à la consultation.
Sans doute est-il plus confortable, pour les décideurs, de s’affranchir totalement des considérations budgétaires et techniques mais le risque est fort de générer encore plus de frustrations. Et c’est une nouvelle fois, faire peu de cas des exigences d’une démocratie locale vivante et constructive que nous appelons de nos vœux.
2/ Etablir une programmation claire des grands événements susceptibles d’être accueillis sur le lieu
Penser les lieux, les aménager, c’est prévoir l’écrin des manifestations et événements qu’ils sont susceptibles d’accueillir. Pour ce qui concerne la place Carnot et le cours Léopold, les événements qui s’y produisent sont nombreux et de natures très diverses : foire attractive, cirque, guinguettes, rallye, salon de l’agriculture, nocturnes étudiantes pour les principaux.
Nous suggérons a minima d’établir une programmation annuelle claire des événements susceptibles de se produire dans ces lieux. Cela pour au moins deux raisons : établir et mieux connaître les caractéristiques techniques des manifestations accueillies pour aménager les lieux et accueillir les événements dans les meilleures conditions tant pour les organisateurs que pour le public. Et mieux communiquer vers les riverains du site (qui ont plutôt le sentiment du « trop plein » que du vide) et les commerçants à proximité.
A titre accessoire, cette démarche devrait être conduite à l’échelle de toute la Ville dans le but de thématiser les espaces publics et offrir une plus grande lisibilité aux événements, et à l’échelle de la Métropole pour l’accueil de certains événements.
Dans le cadre de la consultation en cours, hormis la question de la foire attractive arbitrée en préalable, il n’est rien dit des manifestations susceptibles d’être hébergées. Il nous semble au contraire dommage de ne pas se saisir de cette opportunité pour se re-questionner sur certaines pratiques et potentielles opportunités. Par exemple, nous pensons que le site pourrait être tout à fait adapté pour y accueillir des marchés de la Ville-Vieille ? Des festivités de Saint-Nicolas ?
3/ Considérer et amplifier le caractère majestueux et patrimonial du lieu
Le site a été aménagé en deuxième moitié du 18ème siècle sur les anciens fossés de la Ville-Vieille. Ces 7 hectares sont compris dans les 166ha du secteur protégé de la Ville. Il est peut-être utile, pour celles et ceux qui ont pu lire nos précédentes contributions, de rappeler que l’aménagement des espaces publics est soumis aux préconisations et règles fixées par le plan de sauvegarde et de mise en valeur dont le respect est confié à l’Architecte des Bâtiments de France et au préfet.
A l’heure actuelle, le PSMV est plutôt descriptif de la composition urbaine et non prescriptif. Comme c’est le cas sur la Pépinière ou le jardin du palais du Gouvernement, il serait judicieux d’établir pour le site une orientation d’aménagement et programmation à joindre au Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur dont il faudrait procéder à une modification. Ceci garantirait notamment que – compte tenu du caractère remarquable du lieu – qu’un travail partenarial entre les collectivités et l’Etat puisse être conduit d’une part et que les aménagements convenus collectivement puissent être garantis dans la durée (les élus passent, les lieux restent).
Alors que la dernière modification du document réglementaire date de décembre 2022 et que l’engagement de la majorité en place était connu dès 2020, on ne peut que s’étonner que ce travail n’ait pas été engagé.
A minima, le programme d’aménagements sur le plan patrimonial doit tenir compte des principales caractéristiques du lieu :
- esprit de cours, dans la tradition nancéienne (Carrière, Léopold, Promenade des Canaux, etc)
- alignement d’arbres sur le cours à entretenir et amplifier
- alignement d’arbres en périphérie de la Place Carnot à compléter
- améliorer significativement les aménagements sur le pourtour de la Statue d’Antoine Drouot et sur le pourtour de l’Obélisque en hommage à Sadi Carnot, dans la continuité de ce qui a été mené sur le Mémorial Désilles en 2017-2018
- retrouver une centralité sur la Place Carnot : présence de l’eau et/ou d’une activité captivante (déplacement du kiosque ?)
- mettre à niveau l’éclairage public et remplacer et renforcer le mobilier urbain (bancs en particulier)
- engager une campagne de ravalement des immeubles bordant la place Carnot et le cours Léopold
4/ Répondre aux enjeux de transition écologique et aux légitimes aspirations des habitants
Afin d’imaginer ce que devrait être le futur espace Carnot/Léopold, la référence à l’aménagement des basses et hautes promenades réalisé par tranches successives par la Ville de Reims semble tout à fait pertinente. Cet aménagement a été réalisé par la collectivité sur la base d’un schéma d’aménagement dessiné par la paysagiste et urbaniste Jacqueline OSTY laquelle a reçu pour cette réalisation le Grand Prix de l’urbanisme. On y retrouve de très nombreuses similitudes avec la situation nancéienne : gigantisme du lieu (8ha à Reims pour 7 à Nancy), esprit de cours, présence végétale forte, grands événements qui s’y déroulent régulièrement et notamment la foire, présence forte de stationnement de surface avant aménagement, présence d’éléments patrimoniaux et de mémoire importants en particulier le square Colbert, la porte de Mars et le monument aux morts.
Reims a consacré pour l’aménagement de ces 8 hectares une enveloppe de près de 18 millions d’euros hors ouvrage de stationnement à proximité pour recomposer l’offre présente en surface initialement.
Si l’on peut espérer pour la place Carnot et le cours Léopold un niveau de réalisation proche de ce qui a été conduit à Reims, la comparaison doit néanmoins s’arrêter ici puisque deux choix politiques préalables ont été opérés par les élus rémois avant d’aménager les promenades : déplacer la foire à proximité du stade Auguste Delaune sur un site complètement aménagé pour ce faire et supprimer l’intégralité du stationnement de surface compensé par la réalisation d’un ouvrage de stationnement aujourd’hui opérationnel sur un site voisin des promenades.
Ce que l’on retient néanmoins de cette référence et qui fait partie des attentes exprimés par les nancéiens à ce stade :
- traitement avec soin du patrimoine présent
- disparition le plus possible du stationnement de surface
- désimperméabilisation des sols (cf focus)
- renforcement de la présence de la nature et de l’eau
- aménager des lieux de repos, de contemplation et de loisirs (bancs, aire de pique-nique, aire de jeux pour enfant entre autres)
- aménager des espaces dédiés à la pratique des sports.
Focus : L’objectif de désimperméabilisation des sols doit s’imposer dans le projet à venir. Les habitants et différents usagers des lieux souhaitent incontestablement la disparition le plus possible des enrobés très présents sur le cours Léopold et l’esplanade du Souvenir Français. À la manière de ce qui a été initié dans les cours d’écoles, l’objectif est de remplacer autant que possible ces enrobés par l’installation de matériaux perméables.
5/ Partager des choix clairs en matière de place de l’automobile et de stationnement
Une proposition semble faire l’unanimité tout en étant particulièrement problématique : la suppression de l’intégralité du stationnement de surface sur le cours Léopold et l’esplanade du Souvenir français.
L’objectif de libération de ces espaces aujourd’hui occupés par des voitures en stationnement est légitime et tout à fait souhaitable. Il permettrait en effet de dégager à nouveau les perspectives monumentales du cours tout en permettant de les réinvestir pour d’autres usages et d’autres modes de déplacement, en particulier piétons et cyclistes.
La disparition de ces quelques 400 places devrait néanmoins impérativement être compensée intégralement. Cette compensation ne pourra cependant pas découler d’une solution unique. Et notamment pas uniquement d’une extension du parking souterrain Carnot (à supposer qu’elle soit techniquement et budgétairement faisable). Elle devra en tout état de cause se faire partiellement à proximité immédiate du cours Léopold, afin notamment de ne pas pénaliser les riverains. Elle pourra se faire également grâce à des solutions plus éloignées. A cet effet, l’accélération de l’aménagement et de l’agrandissement des parkings relais nord de l’agglomération doit constituer une priorité absolue. Les véhicules arrivant depuis le nord doivent pouvoir trouver des solutions de stationnement simples et peu coûteuses, à défaut ceux-ci continueront de déferler sur le centre-ville depuis le boulevard de Scarpone et la rue de Metz.
Enfin, la contribution de l’association EDEN nous apparait pertinente sur plusieurs points. Elle doit notamment être étudiée dans le détail s’agissant de la proposition qui consisterait à « spécialiser » la circulation autour du cours Léopold et la Place Carnot : au côté impair la circulation des véhicules légers et au côté pair la circulation consacrée exclusivement aux transports en commun et aux circulations vélo. Dans cette perspective, le côté pair pourrait être aménagé en zone de rencontre et permettrait d’améliorer la porosité entre la ville-vieille et le centre du cours et bien entendu la sécurité de ceux qui pratiquent les déplacements doux.